18 mars 2016

(En réponse à la chronique Drôle de saccage paru dans La Presse Plus du 16 mars 2016)

Dans sa chronique du 16 mars, Alain Dubuc s’emploie à minimiser la crise qui frappe présentement le réseau public de la petite enfance. À cet égard, il ressemble à un passager qui, sur un bateau qui coule, refuse de s’inquiéter parce que ses souliers sont encore secs.

En présentant l’impact de la modulation des frais de garde comme une simple hausse n’affectant que les riches, M. Dubuc tourne les coins dangereusement ronds. Nul besoin d’être dans le proverbial 1 % pour être frappé par cette décision du gouvernement Couillard. Prenons par exemple une famille de deux parents, tous deux enseignants au secondaire avec dix ans d’expérience, avec deux enfants en service de garde. Même après l’aide fédérale, la facture qu’ils auront ce printemps s’élèvera à plus de 1 800 $!

D’ailleurs, certaines institutions financières offrent déjà des prêts aux parents pour qu’ils paient la facture de frais de garde salée de ce printemps. Peut-être que des familles de la classe moyenne forcées de s’endetter pour se payer des services publics s’inscrivent dans le projet de société de M. Dubuc, mais c’est loin d’être le cas pour la population québécoise.

M. Dubuc choisit également de façon extrêmement sélective ses chiffres sur la progression des places en garderies privées. Depuis 2009, les places en garderies privées non subventionnées ont augmenté de 646 %, contre une hausse à peu près nulle en garde familial publique, et d’à peine 15 % en CPE. Il y a lieu de dire qu’on assiste à une privatisation inquiétante des services de garde québécois.

Devant ces chiffres, M. Dubuc se contente de hausser les épaules. Pourtant, dans les garderies commerciales, et plus particulièrement en milieu familial privé, les normes sont beaucoup moins contraignantes, que dans le réseau public, voire inexistantes. Ce dernier garantit des services de garde de qualité par ses normes exigeantes, ses inspections surprises, l’application d’un programme éducatif obligatoire, la vérification des antécédents judiciaires et la formation  continue. L’impact n’est pas négligeable : l’étude Grandir en Qualité 2014 a démontré que 41 % des poupons en garderie privée recevaient des services de qualité insuffisante, contre à peine 2 % en CPE!

Quand les parents quittent le milieu familial public ou les CPE au profit de garderies privées, ils prennent un risque non-négligeable quant à la qualité des services qui sera offerte à leurs enfants; un risque qui ne devrait pas être couru.

Cette même amnésie statistique s’est appliquée à la vision de M. Dubuc des coupes en CPE. En parlant uniquement de coupes de 120 millions de dollars, le chroniqueur fait table rase des dernières années, pourtant déjà lourdes en compressions dans la petite enfance. Le réseau de la petite enfance a subi des coupes de près de 175 millions de dollars au cours des deux dernières années, auxquelles s’ajoutera la nouvelle vague d’austérité annoncée par ce gouvernement.

Partout au Québec, les familles de la classe moyenne voient leur budget étouffé par la modulation, les responsables de services de garde en milieu familial public voient leur clientèle quitter vers un privé à qualité incertaine et les intervenantes en CPE doivent composer avec de moins en moins de moyens.

Pour M. Dubuc, cette situation n’est peut-être pas catastrophique. Mais pour tous les Québécois qui ont à cœur le développement de leur jeunesse, il y a crise, crise qui mérite d’être dénoncée, et surtout, crise qui se doit d’être corrigée avant qu’il ne soit trop tard.

 Valérie Grenon est vice-présidente de la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ-CSQ)